La comptabilité médiévale - amortissements


Extraits de Regard sur la comptabilité antique romaine : l'amortissement de l'esclave et ses conséquences par Gérard Minaud, Docteur de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Histoire), Diplômé de l'Institut Supérieur de Gestion, La Science Politique numéro 3.

Brève mise au point technique
Quelle que soit l'époque considérée, une entité économique possède des biens et des dettes. En employant une terminologie contemporaine, le commentateur comptable dit que ces biens et ces dettes composent respectivement l'actif et le passif de ladite entité. Périodiquement, à partir de son actif et de son passif, le gestionnaire comptable tire un état exprimé en unités monétaires et dont l'utilité est à la fois interne et externe à l'entité économique. Dans le premier cas, le dirigeant dispose des informations nécessaires pour connaître avec précision la valeur du patrimoine qu'il exploite. Dans le second cas, un tiers obtient plus d'éléments pour étudier la solvabilité de son interlocuteur tandis que l'administration fiscale reçoit les informations indispensables pour calculer l'assiette de ses prélèvements.
Toutefois, ces biens ne conservent pas indéfiniment une valeur stable et identique à leur coût d'acquisition. Leur valeur varie en fonction de plusieurs facteurs. Par exemple, une installation technique ou un matériel perd d'autant plus de valeur marchande que son utilisation est intense ou qu'un nouveau procédé plus performant est désormais disponible. Usure et obsolescence diminuent la valeur monétaire de tout équipement technique, que la terminologie latine fait entrer dans l'instrumentum d'une exploitation. La constatation comptable de ce phénomène microéconomique continu et irréversible constitue l'amortissement. Cette dépréciation n'affecte pas seulement des éléments corporels comme une machine mais peut aussi toucher des éléments incorporels. [...]
Pour la France contemporaine et à la lecture du Plan comptable général, l'amortissement pour dépréciation correspond à la constatation comptable d'une diminution de la valeur d'un élément d'actif née de l'usage, du temps, d'une modification des techniques ou de toute autre cause dont les conséquences sont jugées irréversibles. Cet amoindrissement de la valeur d'un bien est étalé dans le temps en fonction de sa durée de vie estimée. L'amortissement pour dépréciation d'un élément d'actif est un double constat : celui de la diminution de la valeur d'un élément d'actif et celui de l'étalement dans le temps d'une charge . D'un point de vue comptable, l'amortissement sert à enregistrer une perte subie (notée parmi les charges) et la variation négative de la valeur d'une immobilisation (une partie du patrimoine de l'entité économique immobilisée sous forme d'un bien corporel ou incorporel). Si cette comptabilisation n'a pas lieu, le résultat d'un exercice est faussé, il ne reflète pas la réalité : ni la valeur réelle des immobilisations ni toutes les charges d'un exercice sont prises en compte. La valeur effective d'un patrimoine demeure méconnue au profit d'une image dénaturée.

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AMORTISSEMENT ET DÉPRÉCIATION

Plusieurs sources médiévales directes contiennent des inventaires de fin d'exercice. Parmi les plus anciennes de ce type se trouvent des documents relatifs à la liquidation d'une compagnie commerciale impliquant Bernardino Ugolini. Cet inventaire qui date de 1280 environ n'est pas un cas unique. Une autre firme, installée à Florence, celle d'Alberto del Giudice, en rédige un tous les deux ans selon une documentation qui débute en 1304 .

A côtés de ces documents, il existe deux familles de registres très connues, il s'agit des livres de Francesco Del Bene et de ceux de Franceso Datini . En ce qui concerne les premiers, Raymond de Roover remarque que dès 1322, une estimation de la valeur intrinsèque de chaque élément du patrimoine est faite lors de chaque inventaire . Cette procédure n'est pas laissée à la fantaisie du commerçant, qui pourrait être tenté de surestimer ses actifs pour donner une meilleure image de sa surface financière et des garanties qu'il serait susceptible de présenter. Des experts sont missionnés en qualité de sapiteurs . Pour le cas de Francesco Del Bene, ils appartiennent à une célèbre compagnie de banquiers, celle des Bardi de Florence . Les livres de comptes de la seconde famille, celle de Francesco Datini, contiennent des principes identiques. A la fin d'un exercice, quand est dressé un inventaire, la valeur mise en face de chaque article est celle qui aurait été obtenue en le vendant au cours du marché à cet instant-là.

Cette prudence qui consiste à mandater des tiers pour évaluer ses actifs laisse peser de lourds soupçons sur les pratiques qui ont pu avoir lieu. Dès le XIVe siècle, l'homme d'affaires a pu ressentir la vive tentation de surévaluer tout ou partie de ses éléments d'actifs pour donner une meilleure image de sa situation et de sa solvabilité, à charge pour lui, à Florence de devoir payer des prélèvements fiscaux plus importants. Il faut en effet rappeler les remarques rapportées par Balduin Penndorff et Heinrich Sieveking d'après qui dans la capitale toscane dans la première moitié du XVe siècle, et plus précisément jusqu'en 1458, existe un prélèvement fiscal dont l'assiette prend en considération la valeur de l'inventaire.

Au fur et à mesure, la rédaction d'un inventaire chiffré devient un outil de gestion qui a pris peu à peu sa place dans la comptabilité avec un souci celui de reproduire au mieux l'état d'un patrimoine. Les autres comptabilités européennes ont progressivement suivi le modèle italien et n'apportent rien de particulier . Pour trouver en France la première trace réglementaire de ce document, il faut attendre le ministère de Jean-Baptiste Colbert et une ordonnance royale en date de 1673 qui impose aux commerçants de faire un inventaire de leurs biens tous les deux ans . Dans cet esprit, Yannick Lemarchand a remarqué à juste titre que les livres de compte de la Compagnie des Indes contiennent la mention " moins-value par dépérissement " . Un pas essentiel est franchi par rapport aux livres de comptes italiens. L'enregistrement arithmétique du montant de la dépréciation implique que l'élément d'actif concerné figure dans la comptabilité de l'entité économique avec sa valeur d'acquisition et non pas avec sa valeur marchande ou vénale enregistrée lors du précédent inventaire. L'auteur cite l'enregistrement suivant " navire qui revient à 148 000 livres et qui, au plus, à son retour ne serait pas estimé 80 000, reste 64 800 ".

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