Le changeur

Le meilleur article en ligne sur le sujet est celui de Marc Bompaire, « Les changeurs parisiens », dans Paris au Moyen Âge, résumé du séminaire de recherche, 1er février 2002 (Monnaie et argent des Parisiens : revenus et investissements), C. Bourlet, dir., Paris, IRHT, 2004 (Ædilis, Actes, 7) [En ligne] http://aedilis.irht.cnrs.fr/paris/14.htm

Il est reproduit ici pour commentaires (en italique)

La législation royale interdisait le change extérieur et toute monnaie étrangère devait obligatoirement être apportée aux changeurs qui l’envoyaient à l’atelier monétaire pour être fondue et frappée à la monnaie nationale (par exemple en 1385). Le changeur sélectionnait, parmi les monnaies disponibles en masse sur le marché, celles dont le cours allait augmenter et il jetait celles qui allaient baisser ; il exerçait des activités de type bancaire : tenue de comptes et virement de compte à compte ; il jouait, enfin, un rôle d’expert : vérification de l’authenticité des pièces, et certification de leur cours.

Les changeurs et leur activité
Raymond de Roover (Money, Banking and Credit in Mediaeval Bruges : Italian Merchant Bankers, Lombards and Money-Changers : A Study in the Origins of Banking, Cambridge, Mass., 1948 (The Mediaeval Academy of America, 51)) a mis en évidence, à Bruges, 3 spécialités :
Il y a imperméabilité entre les différents groupes.

Les mêmes constatations peuvent être faites à Paris.
Les documents de la Chambre des monnaies fournissent des renseignements sur les changeurs manuels, mais l’iconographie est indigente (cf. le tableau de Quentin Metsys au Louvre : l’atelier est réduit et limité avec le changeur, assis à sa table recouverte d’un tapis, avec sa bourse et son registre). La liste du matériel, acheté par un changeur de Clermont énumère 1 tente, 11 tables, 1 tapis, 1 coffre à serrures qui sert aussi de siège, 1 besace, 1 bourse de cuir, 1 balance et 1 marc étalon.
La balance est l’instrument par excellence du changeur dont l’activité essentielle était de peser les pièces pour vérifier qu’elles étaient de « bon poids » ; cette vérification pouvait aussi se faire avec des poids monétaires ou poids étalon. Ils devaient aussi trébucher les pièces, c.’est à dire mettre de côté celles qui pesaient plus que le poids légal et les rogner pour les mettre au poids légal, bien que cette pratique ait partout été dénoncée.
Il n’y a pas de concentration des changeurs à Avignon, ils sont dispersés dans la ville. Les boutiques sont tenues par un valet (jamais par le changeur en titre) qui s’enfuit en cas de vérification de la Cour des monnaies, ce qui rend les contrôles difficiles : les registres-journaux de la Cour des monnaies du début du xve s. (1410, 1430,...) mentionnent des orfèvres accusés de pratiquer le change, comme celui chez qui ont été trouvées des pièces qui n’avaient plus cours et qu’il aurait du rapporter chez un changeur.
Quand ils échangeaient des monnaies, les changeurs prélevaient une commission limitée à 1 ou 2 d. par livre ou pièce d’or, en vertu de l’ordonnance de 1422 (sous Philippe le Bel : 0,3 % ; vers 1370, 1 F/blanc soit 1 %). Ils faisaient des observations sur la qualité des pièces et leur rôle d’expert n’était jamais contesté (enquête à Perpignan en 1343) ; ils vérifiaient le poids, le titre (de rares livres de changeurs contiennent des explications sur la composition des différentes monnaies) et le cours des monnaies.

Ici, nous retrouvons le matériel le plus usuel: tente, table, tapis (vert), le coffre, la balance et son poids et les bourses pour les pièces. La commission apparait vraiment mineure: si elle est de 1 à 2 deniers par livre (soit 1/240e ou 1/120e), le revenu d'un manoeuvre sans qualification (un gros, soit 30 deniers) représente l'échange de près de 30 livres... une somme énorme.

Il est difficile de déterminer le mécanisme des gains des changeurs : ils ne s’enrichissaient pas, ni même gagnaient leur vie sur les opérations de change manuel, mais en période d’instabilité monétaire où ils jouaient sur un stock important de monnaie et où les expertises et les activités avec l’atelier monétaire étaient nombreuses. S’ils s’inscrivaient au registre des changeurs pour obtenir, dans certaines villes, une dignité municipale, ce n’était pas leur principale activité et on rencontre la mention de changeurs et marchands, de changeurs et orfèvres ou de changeurs et drapiers.

Un bon point pour conduite une activité de changeur et de commerçant!
Les textes font apparaître une confusion entre monnaie et change et des liens existaient entre tous les métiers de l’argent. Dans l’optique réglementaire du roi de France, les changeurs étaient chargés d’alimenter en métal l’atelier monétaire, alors qu’au xiiie s., existait en Angleterre un office de change qui était chargé de recevoir toutes les monnaies pour les emporter à l’atelier monétaire. L’administration royale a tenté de créer un monopole du change : après les hésitations du règne de Philippe le Bel, la pratique d’installer des changes pour le roi s’est généralisée dès 1322.
Des efforts ont été faits à Paris pour organiser et contrôler le métier de changeur : en 1343, les changeurs doivent recevoir des lettres du roi ; en 1380, 120 changeurs se font enregistrer auprès de la Chambre des monnaies et s’inscrivent à l’atelier monétaire ; à partir de Charles VI, les changeurs devaient renouveler leurs lettres à l’avènement du nouveau roi et fournir une caution ; ils s’engageaient à apporter tout leur métal à l’atelier monétaire ou une somme minimale ; s’ils ne le faisaient pas, ils devaient verser une somme forfaitaire comme dédommagement ; au xve s., enfin, les changeurs sont enregistrés.

Les métiers du change à Paris

À Paris, les changeurs sont installés sur le Grand Pont (à partir de 1320, il leur est interdit d’exercer le change ailleurs) où 54 emplacements en amont leur sont réservés (50 emplacements pour les orfèvres en aval) ; en 1343, en raison de la pression démographique, est envisagée la possibilité de leur louer un emplacement d’orfèvre en contrepartie d’une rente plus importante. En 1408, enfin, ils sont autorisés à s’installer au Châtelet, comme une partie des changes « ont cheu dans l’eau ».

Le métier de changeur est moins bien organisé que celui d’orfèvre (voir le Livre des métiers d’Étienne Boileau) ; il est moins en vue et les effectifs plus faibles. Néanmoins, des liens familiaux et professionnels existent entre les 2 : à Paris, de grands orfèvres en avaient de petits à leur service et s’approvisionnaient en métal précieux chez les changeurs (1409). Les changeurs travaillaient davantage avec l’atelier monétaire et certains y obtenaient des offices ; dans certaines villes du royaume, ils accédaient à l’échevinage.

Quelques textes qui permettent de comprendre l’évolution du métier de changeur :
1356-1360 : un engagement pris par 40 changeurs d’apporter du métal à l’atelier monétaire, complété par une liste particulière de l’atelier monétaire de Paris (2 sources). Ordonnances monétaires avec une version abrégée pour les baillis et sénéchaux et une version plus détaillée pour les changeurs ; à cette dernière est parfois jointe une liste des changeurs présents à la publication.
1408 : le métier de changeur s’organise ; il est tenu fermement mais porté à bout de bras par l’administration monétaire.
1402 : les maîtres des métiers apparaissent ; ils reçoivent les ordonnances et les font connaître à leurs collègues.
1420 : les maîtres du métier inspectent leurs collègues avant l’administration monétaire.
1414 : leur confrérie est placée sous le vocable de Saint-Mathieu.
1440 : liste des changes et de leur taux d’occupation.
sous Philippe le Bel, les frais de réparation des changes du Grand Pont sont pris en charge par le roi ; comme au xve s., ce métier présente peu d’attrait et tous les changes ne sont pas occupés, d’autres métiers apparaissent sur le Grand Pont.
1456/1457 : réception de 32 changeurs.

Le roi cherchait à faire des changeurs les auxiliaires contrôlés de sa politique monétaire, tandis que les changeurs voulaient que leur relation à l’atelier monétaire soit la source de bénéfices intéressants. Changeurs et maîtres de l’atelier monétaire appartenaient au même monde : vers 1410/1420, la Chambre des monnaies a installé des courtiers pour le contrôle des affineurs, ce qui constituait une étape importante dans le processus du traitement des métaux. À Paris, des févres d’argent sont installés près des changeurs.
L’apprentissage des changeurs durait 3 ans (9 ans pour les orfèvres) et était sanctionné par un examen avec des questions d’arithmétique.


Association Loi 1901. Copyright "Les Compagnons de L'isle" et "cracou" 2006